
En 1962, dans son rapport présenté au nom de la Commission d’étude des problèmes de la vieillesse, Pierre Laroque dressait déjà la feuille de route : il faut chercher quelle place peut et doit être faite aux personnes âgées dans la société française d’aujourd’hui et, plus encore, dans celle de demain.
Prenant en compte la hausse prévisible de l’espérance de vie, il préconisait d’anticiper les changements et de mettre en place une politique qui ne soit pas limitée aux enjeux économiques et médicaux mais qui traite également de la dimension sociale, culturelle, géographique, etc.
Malheureusement, il n’a pas été entendu et, encore aujourd’hui, cette question n’a jamais réellement été débattue.
Auparavant, la société reconnaissait à ses « vieux » un « droit de repos » pour profiter des quelques années qui leur restaient à vivre. Aujourd’hui, avec l’apparition des nouvelles générations de retraités en bonne santé, dynamiques et pleins de projets d’avenir, ce temps de repos n’a plus de sens et il faut bien reconnaître que la société assigne à ses seniors, quels que soient leurs âges, aucun rôle particulier.
Paradoxalement, elle compte néanmoins sur les plus jeunes d’entre eux pour être les éléments principaux des solidarités familiales et pour, en quelque sorte, combler leurs lacunes. C’est ce que nous évoquions précédemment en parlant de «génération pivot» où les papys boomers doivent soutenir à la fois leurs parents âgés, leurs enfants et bien souvent leurs petits-enfants. Cette aide est principalement de deux ordres : l’un financier, l’autre sous forme de services relevant de ce que l’on peut appeler du bénévolat informel.
Concernant l’aspect financier, il n’est pas rare, en effet, que les jeunes retraités soient mis à contribution pour financer les installations permettant le maintien à domicile de leurs parents âgés ou pour financer une partie, voire la totalité, des frais des maisons de retraite dont le montant dépasse bien souvent celui de la retraite perçue par le parent âgé, et ce, malgré les aides existantes. Ils aident également financièrement leurs enfants dans des périodes difficiles de leur vie comme le chômage, le divorce... ou leurs petits enfants en participant au financement de leurs études ou en mettant gratuitement à leur disposition des appartements dont ils sont propriétaires. Un senior de plus de 60 ans consacre environ 6 % de ses revenus à ses enfants ou petits-enfants.
Concernant ce que nous appelons le « bénévolat informel », l’aide consiste la plupart du temps à garder gratuitement leurs petits enfants, à participer activement aux travaux (rénovation, peinture, etc.) chez leurs enfants ou à aider leurs ascendants ou leurs descendants dans des démarches administratives diverses.
Mais au-delà de cette aide, certes non négligeable, mais limitée à la sphère familiale, quel est ou quel peut-être le rôle des retraités ? Représentent-ils une force capable d’influencer la société ?
Contrairement à leurs homologues américains, les BooBos français ne se sont pas encore organisés pour peser sur la société. Aux USA, depuis plus d’un demi siècle, l’American Association of Retirement People (AARP), l’association américaine des personnes retraitées, est une organisation non gouvernementale, non affiliée politiquement qui s’adresse aux personnes de plus de 50 ans et déclare 40 millions de membres. Son but principal est d’améliorer la qualité de vie de tous quel que soit l’âge. C’est également l’un des groupes de lobby les plus puissants des États-Unis. Son activité tourne essentiellement autour de l’assurance maladie, du prix des médicaments et de l’aide aux personnes âgées. Le magazine bimensuel qu’elle édite est également l’un des plus gros tirages du pays.
En France, même si les associations de retraités sont nombreuses, elles sont souvent regroupées par corporations. Policiers, hospitaliers, militaires, personnels d’Air France figurent sur la première page lorsque vous tapez « association de retraités » dans le moteur de recherche Google. Quant aux syndicats, le nombre de syndiqués retraités est très faible ; en l’absence de données fiables, on parle d’environ 200 000 syndiqués sur 14 millions de retraités. Néanmoins, le mouvement syndical, et notamment les grandes confédérations syndicales, prend en charge, à tous les niveaux, les aspirations et les revendications des retraités et personnes âgées, anciens salariés. Les syndicats de retraités défendent en particulier les problèmes liés au niveau des retraites avec une attention particulière pour les basses pensions, la prise en charge de la maladie et la perte d’autonomie mais aussi les questions relatives au cadre de vie. Ils contribuent à intégrer le rôle de plus en plus important joué par les seniors sur tous les sujets tout en conservant une solidarité entre les générations de salariés et d’anciens salariés. Ils sont également membres de la Confédération européenne des syndicats (CES) afin de coordonner des actions et des revendications communes car la dimension européenne est grandissante en raison de la grande similitude des problèmes rencontrés par les différents pays.
L’allongement de l’espérance de vie et le nombre croissant des seniors étaient prévisibles en France comme aux États-Unis. On peut alors se demander pourquoi les seniors français n’ont pas su s’organiser comme l’ont fait les seniors américains ? Cela est peut-être dû à un mode de fonctionnement différent de la démocratie. À un manque d’implication des français dans la vie collective. À moins que la réponse ne soit beaucoup plus simple et tienne au fait que les retraités français ne se considèrent pas comme une catégorie sociale à part.
C’est en tout cas ce que démontre l’enquête « Histoire de vie. Construction de l’identité » réalisée en 2003 par la division Enquêtes et Étude Démographique de l’INSEE. Selon cette étude, uniquement 1 % des retraités ont le sentiment d’appartenir à la catégorie sociale des retraités, et ce, bien que 7 personnes sur 10 pensent qu’être retraité à un sens suffisant. Les 99 % restants déclarent appartenir à la classe moyenne (36 %), la classe ouvrière (24 %), la bourgeoisie (7 % des indépendants, artisans, commerçants et professions libérales) ou se sentent liés à un groupe professionnel (fonctionnaire, cadre, etc.). Toutefois, on est en droit de penser que cela pourrait changer dans les années à venir avec l’influence des baby-boomers qui sont davantage impliqués dans la vie collective, associative et culturelle. Pour ne citer qu’un exemple : à ce jour, 30 % des maires sont retraités.